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Reportage chez une vitrailliste

peinture sur verre

temps de lecture : 10 min

Rencontre avec Adélie Payen, vitrailliste en Lot et Garonne

Florence GIL : En plein cœur de la campagne française, dans le village de Lamontjoie, niché entre le Lot et Garonne et le Gers, j’ai eu le privilège de découvrir l’univers d’Adélie Payen, artisane vitrailliste.

Bien que la restauration de vitraux d’église soit un de ses domaines d’expertises, j’ai été surprise lors de notre rencontre par la découverte des subtilités de ce métier, notamment la recherche pour des créations beaucoup plus modernes qui s’harmonisent parfaitement avec les intérieurs contemporains.

Le quotidien d’Adélie Payen rime harmonieusement avec patience, créativité et savoir-faire ancestral. Au fil des années, elle a su s’approprier ces techniques pour développer un style qui lui est propre, fruit d’un parcours jalonné d’étude à Paris, de stages et de voyages enrichissants en Écosse.

Dans cet article, je vous convie à explorer le parcours passionnant de cette artisane. Découvrez avec moi les secrets et les défis qui jalonnent le chemin de cette artiste, fascinée par la lumière et la transparence.

restauration d'un vitrail

FG : Quel a été votre parcours pour devenir artisane vitrailliste ?

Adélie Payen : Attirée par les arts plastiques dès l’enfance, j’ai choisi après la troisième de faire un bac art appliqué. Dès la seconde, j’avais de nombreuses heures de cours d’art, de design, d’histoire de l’art. À 16 ans, j’ai fait un stage d’une semaine, un peu par hasard, chez un vitrailliste que connaissait ma mère. Après cette expérience enrichissante, je me suis dit que j’allais tenter ce métier après le bac. Je suis montée à Paris faire mes études, dans une école que j’ai adorée qui s’appelle Olivier De Serres (ENSAAMA). J’ai fait un DMA vitrail en deux ans. Au début, je n’étais pas sûre de moi, ce n’a pas été une révélation, j’étais prudente mais ça, c’est dans mon caractère.

FG : Comment en êtes-vous venue à vous attacher à ce métier ?

AP : En avançant dans le temps, je me suis attachée à ces techniques. Je me suis rendue compte qu’elles réunissaient beaucoup de choses que j’aime, comme le dessin avec la peinture sur verre, la transparence avec la lumière, et le savoir-faire ancestral qu’il n’est peu possible d’apprendre en autodidacte. C’est un savoir-faire qui doit être transmis car il est vraiment spécifique.

nettoyage d'un vitrail

FG : Depuis quand exercez-vous en tant qu’artisane ?

AP : Je suis à mon compte depuis deux ans et demi. Après l’école Olivier De Serres (ENSAAMA), j’ai vécu en Écosse pendant un an, travaillant dans un atelier de vitrail. En France, trouver du travail chez un vitrailliste était difficile. De retour en France, j’ai passé une licence Préservation des Biens Culturels en spécialité vitrail, à la Sorbonne, puis un CAP de décoration sur verre au CERFAV. À 26 ans, ça été pour moi une période compliquée, je venais de terminer mes études, j’avais obtenu mes diplômes mais j’ai d’abord envisagé de changer de voie, travaillant dans d’autres domaines pendant trois ans. Puis, retrouvant confiance en moi, j’ai décidé de me lancer à mon compte. J’ai suivi une formation d’un an pour me remettre dans le bain et apprendre la communication, le marketing et la gestion d’entreprise.

FG : Pouvez-vous nous parler de vos débuts, avez vous été accompagnée ?

AP : J’ai démarré mon activité en couveuse d’entreprise, un système avantageux où j’ai pu utiliser leur numéro SIRET tout en bénéficiant de mon chômage. Cela m’a permis de débuter mon activité plus sereinement, en étant accompagnée et conseillée, bénéficiant également de leur formation. J’étais chez BGE à Agen pendant un an et demi avant de me lancer à mon compte il y a un an.

vitrail neuf

FG : Quelle a été votre source d’inspiration pour devenir vitrailliste ?

AP : J’ai établi un lien avec ma grand-mère, décédée quand j’avais deux ans. J’ai découvert qu’elle réalisait des vitraux, bien que ce ne fût pas son métier, étant femme au foyer. Elle utilisait une technique appelée « dalle de verre », consistant en du verre de 3 cm d’épaisseur serti dans du béton armé. Dans les années 70/80, elle en fabriquait pour des particuliers et des églises, une pratique en vogue à l’époque. Cette filiation a joué un rôle dans mon choix, de manière inconsciente.

FG : Quel lien établissez-vous entre votre travail et votre bien-être personnel ?

AP : Je ressens toujours le besoin de travailler avec mes mains pour me sentir épanouie. À 22 ans, alors que j’étais à la fac, j’ai été confrontée à trop de théorie et trop peu de pratique, ce qui a affecté mon bien-être. Bien que j’ai obtenu une licence, je suis retournée vers des activités plus pratiques, car j’étais malheureuse. Travailler avec mes mains déclenche quelque chose de profondément apaisant, c’est comme une respiration. Cela me plonge dans une bulle méditative.

vitrail

FG : Comment votre artisanat contribue-t-il à une consommation plus durable et respectueuse de l’environnement ?

AP : Le processus de fabrication du vitrail n’est pas écologique, car la production de verre nécessite beaucoup d’énergie pour atteindre les températures requises. Bien que le verre soit recyclable, celui implique encore une fois une importante dépense énergétique. De plus, lorsque je coupe une pièce et que je me trompe, le verre est irrécupérable. Les petites chutes générées sont souvent trop petites pour être réutilisées, et il y en a beaucoup. Enfin, le plomb utilisé est toxique, même s’il ne présente pas de danger immédiat, son utilisation prolongée peut poser problème.

Cependant, je souligne le caractère durable de mon artisanat. Bien que mon travail s’apparente à de la décoration, il n’est pas éphémère. Les vitraux sont transmis sur plusieurs générations et sont uniques car ils sont toujours conçus sur mesure.

Le travail de restauration est également crucial. Le plomb a une durée de vie d’environ 100 à 150 ans, au-delà il se dégrade tellement que des pièces de verre peuvent chuter et se briser. Il faut donc restaurer les vitraux tous les siècles environ. En France nous avons la chance d’avoir des vitraux qui datent du 12ème siècle, comme à Chartres ou au Mans, et qui sont toujours en place car ils ont été plusieurs fois restaurés. Bien sûr, le verre peut se casser, les peintures ont des lacunes, mais il y a cette idée d’un art qui traverse les siècles et qui est transmis de génération en génération.

mise en place des baguettes de plomb pour un vitrail

FG : Pouvez-vous nous raconter un moment particulièrement mémorable de votre parcours ?

AP : Oui, j’ai un souvenir inoubliable, lorsque j’ai eu l’opportunité de monter sur l’échafaudage intérieur de la Sainte-Chapelle à Paris et de toucher le plafond de ma main. J’ai également eu le privilège de contempler les vitraux datant du 15ème siècle. C’était lors de mon stage chez un vitrailliste chargé de la rénovation.

FG : Comment la création artisanale peut-elle servir de lien entre les générations passées et futures ?

AP : Le vitrail est un art ancien, remontant au Moyen Âge, et qui a connu peu d’évolutions techniques. Par exemple, au début, le verre était coupé avec un fer chaud, une méthode peu précise et encombrante. Par la suite, à la Renaissance, on est passé à l’utilisation du diamant, mais cette méthode coûtait cher. Au 20ème siècle, un alliage appelé carbure de tungstène est devenu populaire pour sa capacité à couper le verre à moindre coût. Malgré ces évolutions, la technique de base est restée largement inchangée, ce qui est remarquable lorsque l’on considère que ces pratiques ont plus de 900 ans.

découpe d'un morceau de verre

FG : Quels défis rencontrez-vous en tant qu’artisane et comment les surmontez-vous ?

AP : Je trouve particulièrement difficile d’établir des devis, car dans le domaine du vitrail, il y a de nombreux éléments à anticiper et il est souvent difficile d’estimer la durée de chaque étape. Par exemple, il peut y avoir des problèmes de serrurerie liés au métal, ce qui nécessitera l’intervention d’un métallier. Il me faut donc d’abord estimer le coût de cette intervention et contacter le métallier avant de finaliser le devis, c’est souvent un défi de tout prévoir.

Un autre défi réside dans la capacité à me vendre et à promouvoir mon travail. Nombreux sont les artisans qui manquent de confiance en eux et qui ne possèdent pas de compétences commerciales. En tant qu’artisan d’art, nous sommes souvent seuls et devons assumer tous les aspects de notre métier.

Lorsque j’expose dans des salons, il est souvent difficile d’expliquer mes prix auprès des particuliers. En France, bien que nous possédions le plus grand patrimoine de vitraux anciens, la sensibilisation à cet art est moindre par rapport à d’autres pays comme l’Angleterre, où l’on observe une plus grande appréciation et une présence plus marquée dans les intérieurs.

Dans le domaine de la restauration, ce n’est pas évident car les devis sont souvent acceptés un à deux ans plus tard. Actuellement, je travaille sur la restauration de l’église de Montauriol, comprenant 10 vitraux. J’attends également des réponses à mes devis pour plusieurs églises en Lot-et-Garonne et dans le Gers, ainsi que pour une chapelle privée. En dehors de la restauration, je réalise des créations sur mesure pour les particuliers. C’est un travail de longue haleine, car il faut d’abord faire ses preuves. J’ai réussi à avoir mon premier client particulier après un an et demi.

carton d'un vitrail, dessin en taille réelle

FG : Y a-t-il beaucoup de vitraillistes en Lot-et-Garonne, en France ?

AP : La concurrence existe, en Lot-et-Garonne, nous sommes environ 5 ou 6 vitraillistes.

FG : Comment l’artisanat peut-il préserver un savoir-faire ancestral tout en intégrant des techniques modernes ?

AP : Dans le domaine de la restauration, nous sommes souvent confrontés à des morceaux de verre cassés. Autrefois, seule une consolidation avec du plomb de casse était possible, ce qui altérait la lecture du vitrail. Depuis une dizaine d’années, l’utilisation de résines spécifiques permet des restaurations beaucoup plus discrètes, quasiment invisibles pour un œil non averti.

En ce qui concerne la création, j’ai eu l’occasion de travailler avec un plotteur, une machine qui découpe des vinyles pour créer des pochoirs. Cela permet d’accélérer considérablement le processus. Alors que la découpe manuelle d’un pochoir au scalpel peut être longue, avec un plotteur, je peux dessiner le motif sur ordinateur et le relier à la machine, ce qui me fait gagner énormément de temps.

Bien sûr, toutes les pièces ne peuvent pas être réalisées au pochoir, et il y a encore des éléments que je peins entièrement à la main.

peinture sur verre vitrail

FG : Si vous aviez une baguette magique, que changeriez-vous dans votre quotidien d’artisane ?

AP : Ce serait la rémunération. Bien que je sois passionnée par mon métier, j’ai souvent l’impression que le travail fourni n’est pas assez valorisé. Les clients peuvent trouver les prix élevés lorsqu’on annonce 1000 ou 2000 euros pour une pièce, mais en réalité, notre rémunération est minime. Le temps de main-d’œuvre n’est pas toujours pleinement compensé, et les matériaux sont également très coûteux.

FG : Auvez-vous un message fort à faire passer ?

AP : À première vue, la beauté et l’art peuvent sembler non essentiels, mais à long terme, ils le sont. Ils permettent à l’humain de s’évader de ses pensées. Parfois, nous avons besoin d’un objet qui ne se trouve pas nécessairement dans le commerce et qui a uniquement un but utilitaire. Nous voulons le créer nous-mêmes, comme un escalier, quelque chose pour notre gouttière ou pour cacher un radiateur. Sans y penser, nous recherchons un certain esthétisme pour qu’il soit symétrique, bien droit, que les vis soient alignées, qu’il n’y ait pas de tache. Rien que cette recherche apporte de la beauté. Je crois que la recherche du beau est inhérente à l’être humain. Nous avons besoin de nous entourer de beauté car cela apaise et élève notre esprit.

test peinture sur verre

FG : Une dernière chose à ajouter ?

AP : Le métier de vitrailliste est magnifique mais il requiert une grande polyvalence, ce qui rend son apprentissage long. Aujourd’hui, de nombreuses reconversions professionnelles se dirigent vers le vitrail, mais il est essentiel de prendre les choses au sérieux et de ne pas être pressé, car il y a tellement d’étapes et de petits secrets à découvrir. Il est difficile de tout apprendre en un an. Il est donc bénéfique d’aller voir différents artisans et de faire ses propres expériences. Chaque vitrailliste met l’accent sur des aspects différents, certains insistent sur la solidité, tandis que d’autres privilégient d’autres aspects. Cela permet d’enrichir et de compléter son travail.

outils utilisés lors de la restauration d'un vitrail

Processus de création :

  1. Dessin à l’échelle réduite (1/10) : Permet de concevoir le motif et d’évaluer la faisabilité de la création en réduisant toutes les dimensions par 10.
  2. Carton à taille réelle : Le dessin grandeur nature permet de découper chaque pièce de verre selon les dimensions exactes.
  3. La coupe de verre : Chaque pièces est ensuite découpés à la main avec un outil à base de carbure de tungstène.
  4. Peinture : Utilisation de grisailles, jaune d’argent ou émaux pour colorer le verre ou ajouter des détails. Cette étape est facultative, car le verre peut être préalablement coloré par un souffleur de verre ou un industriel, selon le projet.
  5. Cuisson : La peinture est cuite dans un four de verrier à environ 630°C pour la fixer de manière permanente.
  6. Montage au plomb : Assemblage des pièces de verre avec des baguettes de plomb, puis soudure des intersections à l’étain pour renforcer la structure.
  7. Soudure : La face avant est d’abord soudée, puis la face arrière, assurant la solidité du vitrail.
  8. Masticage (optionnel) : Application d’un mastic liquide sur toute la surface du vitrail, scellant les joints de plomb pour renforcer et étanchéifier le vitrail.
  9. Nettoyage : Élimination des résidus de mastic, laissant ceux sous les plombs pour rigidifier et étanchéifier le vitrail.
  10. Pose : Installation du vitrail terminé.

Processus de restauration :

  1. Préparation sur site : Installation d’une échelle ou d’un échafaudage pour accéder au vitrail.
  2. Retrait du mortier : Utilisation d’un marteau et d’un burin pour retirer le mortier de chaux ou de ciment entourant le vitrail.
  3. Dépose : les panneaux sont extraits de la baie et emmenés à l’atelier
  4. Dessertissage : Démontage des panneaux, sortie des pièces de verre et recyclage du plomb.
  5. Nettoyage et consolidation : Les pièces de verre sont nettoyées, consolidées si nécessaire, voire remplacées.
  6. Montage au plomb et soudure : Assemblage des pièces de verre avec de nouveaux réseaux de plomb, suivi de la soudure des intersections.
  7. Repose : Les panneaux restaurés sont réinstallés dans le monument d’origine.
peinture sur verre vitrail

Reportage et photos réalisés par Florence GIL de FG Photographie
Le 16/02/2024, à Lamontjoie (47)

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