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Rencontre avec Esteban, artiste peintre en Tarn et Garonne
Florence GIL : Dans les toiles d’Esteban, se dévoile un tourbillon d’émotions brutes, un univers pictural où chaque coup de « couteau » raconte une histoire profonde et nuancée. Ses œuvres offrent une expérience visuelle très riche, invitant chaque spectateur à une introspection personnelle. Tristesse, colère et sérénité sont les principales émotions que l’on peut rencontrer sur ses toiles. Les tableaux offrent différentes lectures selon l’observateur, son humeur et le moment de la journée. Lors du premier vernissage que j’ai eu le privilège de découvrir, l’œuvre d’Esteban m’a souvent laissé songeuse, suscitant le désir de m’asseoir et de dialoguer avec les tableaux. Au fil de cette exposition, nous avons plongé dans son univers, d’abord peuplé de bateaux, son premier thème, puis dans l’exploration des portraits et de leur symbolique. Dans cette interview, nous avons eu le privilège d’en apprendre davantage sur l’univers artistique et personnel d’Esteban, découvrant ses motivations, ses inspirations et les émotions qui façonnent son travail.
FG : Pouvez-vous nous parler de ce qui vous a poussé à vous lancer dans cette voie créative, et depuis combien de temps vous vous y consacrez ? Pourquoi avez-vous choisi précisément cette voie ?
E : Depuis 6 mois, c’est très récent pour moi. Je n’avais jamais dessiné ni peint de ma vie, ce n’était pas du tout mon domaine. Ce qui a déclenché cette envie, c’est une discussion avec le père d’Élodie, ma compagne, qui pratique la peinture intuitive au posca. Elle envisageait de vendre ses tableaux en Vendée chez ses parents, et son père lui a dit que ses tableaux ne se vendraient pas. Je lui ai alors demandé : « Mais alors, qu’est-ce qui se vend chez vous ? » Et il m’a répondu : « Les bateaux ». C’est là que j’ai décidé de me lancer dans la peinture de bateaux, et j’ai réalisé une série d’une trentaine de bateaux au cours des mois suivants. Bien sûr, ils ont évolué au fil du temps, car j’ai progressivement maîtrisé la technique.
FG : Comment ce travail artistique contribue-t-il à votre bien-être personnel ?
E : C’est directement lié, aujourd’hui c’est un besoin vital. Si je ne peins pas, je me sens mal, et je ne vois pas comment je pourrais arrêter. C’est mon évasion quotidienne, un moment où je suis en harmonie avec moi-même, seul. J’ai beaucoup travaillé avec des psychologues et des thérapeutes sur ma solitude. Avant, je ne supportais pas d’être seul, cela remontait à mon burn-out où je me suis retrouvé totalement isolé. La solitude était alors insupportable. Grâce à ce travail, la peinture m’aide à apprécier d’être en connexion avec moi-même, sans crainte.
FG : Quels sont les thèmes qui vous passionnent et sur lesquels vous avez envie de travailler ?
E : À la base, je n’aime pas du tout les bateaux. Mon frère possède un voilier, mais ce n’est vraiment pas mon domaine. Je ne suis pas un marin, je suis un terrien. Pourtant, la plupart des bateaux que j’ai peints sont des bateaux de course, d’où les voiles carrées. Cette année, mon objectif serait d’assister au départ d’une course, comme le Vendée Globe. Travaillant dans l’industrie et la technologie, je suis fasciné par ces bateaux qui semblent voler au-dessus de l’eau. Pour moi, c’est un sujet artistique captivant.
J’ai arrêté cette série car d’autres émotions sont survenues en moi. J’ai ressenti le besoin de faire des portraits, en noir et blanc. Pas de couleur, je ne peux pas encore expliquer pourquoi.
FG : Pouvez-vous nous partager une expérience où l’art a eu un impact significatif sur votre vie personnelle ?
E : Récemment, lors d’un vernissage pour présenter ma première série et celle à venir, j’ai été retardé par la circulation. À mon arrivée, certains invités avaient retourné mes tableaux. Cela m’a profondément bouleversé. Je cherche à comprendre les motivations derrière cet acte et mes réactions si intenses. Comme je peins avec mes émotions, cela inspirera sûrement de nouveaux tableaux. Cet incident, bien que j’en prenne conscience, me servira de thérapie pour combler un sentiment de manque de reconnaissance ou autre.
FG : Avez-vous des rituels ou une routine pour vous mettre dans l’état d’esprit de peindre ?
E : Je me rends toujours dans mon atelier de bricolage, où j’ai aménagé mon coin avec mon chevalet et mes toiles. C’est mon espace à moi. Cet atelier remonte à mon enfance ; mon grand-père était ébéniste et avait son propre atelier, où j’étais le seul à avoir le droit de jouer. J’y mettais un joyeux désordre, manipulant les outils et les copeaux de bois. Donc l’ambiance atelier, les outils, c’est ce qui me met dans le bon état d’esprit pour peindre. Ensuite, je peins en écoutant des histoires d’Agatha Christie en audio ou sur YouTube. Il n’y a pas forcément de lien entre mes toiles et les histoires, mais cela me fait du bien d’écouter cette auteure. Peut-être qu’il y a une influence subconsciente.
FG : Comment percevez-vous la relation entre vous et vos tableaux ?
E : Les tableaux appartiendront toujours à celui qui les crée, même s’ils sont vendus, restant ainsi notre propriété. Cependant, en même temps, ils ne nous appartiennent pas du tout. Chacun y trouve une émotion ou une symbolique que je n’ai pas du tout cherché à représenter.
FG : Pourquoi avez-vous choisi Esteban comme nom d’artiste ?
E : J’ai toujours reproché à ma mère de ne pas m’avoir appelé Esteban. Je m’appelle Gonzales et je suis d’origine espagnole, d’Andalousie. Mes arrières grands-parents sont partis d’Espagne pour l’Algérie, mes grands parents paternel y sont nés avant de venir en France. Je n’ai jamais eu l’opportunité de me reconnecter à mes racines espagnoles. Mon père possédait une maison en Espagne où il se rendait souvent, mais je n’ai jamais eu la chance de l’accompagner, ce qui est un regret pour moi. J’ai toujours reproché à ma mère de ne pas m’avoir donné un prénom espagnol, je n’ai jamais aimé le mien. Lorsque j’ai commencé à peindre mes premiers tableaux, je ne les signais pas car je n’avais pas l’intention de les exposer ou de les vendre. Élodie m’a encouragé à les signer, et après réflexion, il m’est apparu évident que je devais signer Esteban. C’est comme une revanche, une renaissance.
FG : Si vous aviez une baguette magique, que changeriez-vous dans votre quotidien d’artiste ?
E : Je consacrerai ma vie entière à la peinture, ce qui me permettrait d’explorer encore plus profondément mes créations. Je ne parle pas seulement de vivre de cela sur le plan financier ; l’argent n’est pas l’objectif, mais vivre pleinement, sans contraintes. Avoir le temps, même si cela signifie passer trois jours sur un tableau. Je ne peins que le soir, parfois jusqu’à 2 heures du matin, empiétant ainsi sur mon sommeil, mais cela est devenu indispensable pour moi.
FG : Y a-t-il quelque chose d’autre que vous aimeriez partager ?
E : Ce que je voudrais ajouter est très personnel. Mes deux filles ne me parlent plus depuis cinq ans à la suite de mon divorce, et pour moi, ce serait une consécration qu’elles viennent voir mes tableaux.
Reportage et photos réalisés par Florence GIL de FG Photographie
Le 02/03/2024, à Castelsarrasin (82)
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