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Rencontre avec Mélissa Gordet, artisane lainière en Lot et Garonne.
Florence GIL : À travers ma rencontre avec Mélissa de tricoteuse de rêve, une artisane lainière passionnée, j’ai découvert un métier ancestral qui gagne à être préservé dans notre société moderne. Mélissa m’a ouvert les portes de son univers artisanal où la laine des moutons prend vie à travers un processus minutieux et respectueux de la tradition. Grâce à son expertise et à son dévouement, elle nous offre un aperçu fascinant de la transformation de la laine brute en de magnifiques produits finis. Cette expérience m’a permis de réaliser l’importance de préserver ce savoir-faire pour continuer à utiliser la laine de nos moutons locaux et lui offrir la valorisation qu’elle mérite.
FG : Quel a été votre parcours avant de vous lancer dans la laine ?
MG : J’ai une formation artistique et j’ai toujours été attirée par la créativité. J’ai débuté par un bac en arts appliqués. Ensuite, j’ai travaillé et j’ai eu ma fille, je me suis éloignée de mes activités artistiques pendant un certain temps même si cela me manquait.
En Lot-et-Garonne, j’ai trouvé un emploi dans un restaurant à Nérac. Pendant le confinement, le restaurant à fermer, étant chez moi, j’ai renoué avec le tricot. C’est une activité très relaxante pour moi, elle me permet de me poser et de réfléchir.
FG : Comment avez-vous décidé de vous lancer dans la création de votre propre entreprise ?
MG : Installée à Penne-d’Agenais, j’ai bénéficié des allocations chômage, ce qui m’a permis de faire le point sur ma situation. J’ai alors envisagé de me mettre à mon compte. En tricotant, l’idée a germé : pourquoi ne pas boucler la boucle et travailler dans le domaine de la laine ?
C’est en lisant un article de Reinhard Poppe et d’Adeline Gonnot, qui cherchaient des bénévoles pour trier la laine pendant l’été que j’ai débuté. Je les ai rencontrés lors du festival Filolaine à Lamontjoie en 2021 et j’ai participé au tri. Adeline m’avait prévenue que toucher de la laine est addictif, et elle avait raison !
J’aime beaucoup l’odeur des moutons, j’apprécie l’ambiance des bergeries, j’aimerai en avoir une, un jour. C’est en achetant deux curons de laine à Reinhard à la fin de l’été que j’ai réalisé à quel point une toison est abondante. C’est incroyable de voir combien de fil on peut en tirer. On peut faire un pull entier avec une seule toison.
FG : Comment sélectionnez-vous la laine pour votre activité ?
MG : Aujourd’hui, je commence à choisir les races qui m’intéressent. Les brebis ont des caractéristiques propres à leurs origines, ce qui influence la qualité de leur laine. Par exemple, les races anglaises comme les Suffolk et les Shropshire sont connues pour leur viande, ce qui donne des brebis très imposantes et peu maniables. En revanche, j’ai découvert la race basque Manech, originaire des montagnes, qui produit une laine longue et dense, semblable à celle de la chèvre. Ses poils plus longs sont particulièrement imperméables, parfaits pour confectionner des vestes. Toutefois, il faut éviter le contact direct avec la peau car cela peut être désagréable. Pour les pulls, je préfère des laines plus douces. En réalité, il n’y a pas de laine qui gratte ; cela dépend plutôt de la qualité du tri et de l’utilisation.
FG : Quels conseils donneriez-vous pour l’entretien des vêtements en laine ?
Il est essentiel d’éviter les chocs thermiques lors de l’entretien. Les vêtements en laine ne doivent pas être lavés à chaud, car cela risque de les faire rétrécir. Un lavage à 30°C maximum, sans essorage ou à basse vitesse (400 tours), est recommandé pour éviter le feutrage de la laine. Il est également déconseillé d’utiliser le sèche-linge, car cela peut endommager les fibres de la laine.
FG : Comment votre travail artisanal contribue à votre bien-être ?
Le fait de m’adonner au filage ou au tricot me permet de me recentrer et de déconnecter de mes préoccupations mentales. Pendant cette activité, soit mon esprit se vide complètement, soit je parviens à réfléchir calmement aux tâches à accomplir. Le processus de création me donne un sentiment de valeur et me procure un bien-être profond. Je ressens une grande fierté lorsque je termine un tricot et que je reçois des retours positifs de mes visiteurs ou clients sur les marchés. Cela renforce ma motivation.
FG : En quoi votre artisanat est il respectueux de l’environnement ?
MG : La laine est un produit naturel, et la tonte des moutons est essentielle pour leur bien-être. Si les brebis ne sont pas tondue avant l’été, elles risquent de souffrir de la chaleur excessive ou d’attraper des parasites, tels que les mouches, qui peuvent causer des plaies sous la laine. De plus, la laine a de multiples utilisations, notamment en tant qu’isolant et paillis dans le jardin. Le suint, une matière grasse produite par le mouton en même temps que la laine, est également un excellent engrais. En outre, les vêtements en laine présentent de nombreux avantages, tels que leur grande résistance et leur capacité de réparation facile, ce qui en fait un choix durable par rapport aux matières synthétiques comme l’acrylique.
FG : La laine que vous récupérez chez les éleveurs est-elle traitée d’une manière particulière ?
MG : Non, la laine que je récupère provient de la tonte du printemps, donc elle n’est pas traitée. Elle est brute, sans aucun produit ajouté après la tonte. J’ai choisi de la laver moi-même, en utilisant uniquement des cristaux de soude. Je réalise trois trempages pour écarter les fibres et éliminer le suint. Le premier bain se fait à l’eau claire, le deuxième avec les cristaux de soude, et le troisième à nouveau à l’eau claire. Pendant les trempages, je brasse simplement la laine, sans frotter les fibres pour éviter le feutrage. Ensuite, je la fais sécher à plat au soleil.
FG : Avez-vous un moment particulièrement gratifiant ou mémorable dans votre parcours artisanal à partager ?
MG : Oui, un moment très marquant pour moi a été lorsque je cherchais un rouet pour filer la laine. J’ai parcouru le Bon Coin et certains groupes sur Facebook à la recherche de cet outil. Un monsieur de Villeréale m’a contactée, me disant qu’il possédait le rouet de son père, qui filait la laine de ses Alpagas. Pendant la guerre, il avait même aidé les femmes à fabriquer des rouets pour qu’elles puissent filer. En récupérant ce rouet, qui a la particularité d’être en station debout, il m’a raconté toute cette histoire. J’ai été profondément touchée par cette transmission et par la singularité de ce rouet debout, chargé d’histoire. C’était un moment vraiment spécial pour moi.
FG : Quelles sont les valeurs qui vous guident dans votre travail artisanal ?
MG : Les valeurs qui me guident sont le bien-être animal et le mien. Je crois en un retour aux choses naturelles et à la consommation locale. Ce n’est pas une question de chauvinisme, mais plutôt de préserver notre savoir-faire français. Il est important de le faire perdurer pour maintenir une tradition et une qualité qui nous sont propres.
FG : Y a-t-il quelque chose que vous aimeriez ajouter ?
MG : Je pense qu’il est crucial de revaloriser ce métier qui est très intéressant. Avec la montée de l’éco-pâturage, de plus en plus de gens achètent des moutons, ce qui crée une demande croissante pour les tondeurs et les artisans travaillant la laine. On observe également un regain d’intérêt pour l’apprentissage du filage, car il est gratifiant de travailler avec la laine que l’on a soi-même filée. Il est donc important de profiter de l’expertise des anciens artisans tant qu’ils sont encore présents, afin de préserver et transmettre ce savoir-faire essentiel.
FG : Pouvez vous nous décrire le processus de votre travail ?
La laine
MG : Le processus commence par la récolte de la laine entre mars/avril et septembre/octobre, que nous récupérons avant l’été. La première étape consiste à trier la laine et à enlever les fruits de xanthium ou de lampoude qui peuvent s’emmêler dans les fibres. Ensuite, je lave la laine dans de vieilles lessiveuses en zinc, en utilisant l’eau du puits et le soleil pour chauffer l’eau.
Je commence par un premier bain à l’eau claire pour éliminer le suint, que je presse ensuite pour enlever l’excès d’eau. Dans le deuxième bain, j’ajoute des cristaux de soude et je laisse tremper la laine pendant une à deux heures, en brassant délicatement quelques fois. Je presse à nouveau pour éviter de salir le troisième bain, qui est un dernier rinçage à l’eau claire.
Après avoir essoré délicatement la laine, je l’étale à plat au soleil sur un étendoir et elle sèche en deux heures environ. Une fois sèche, je la ramène à l’atelier pour un dernier tri afin d’enlever les éventuelles brindilles.
Le fil
MG : Je passe au filage : si les fibres sont assez longues, je file directement, sinon je les passe à la carde. Pendant le filage, je veille à trier minutieusement les dernières petites fibres pour éviter que la laine ne gratte.
Je commence par créer un fil simple, que je mets ensuite en pelote à l’aide d’une bobineuse. Ensuite, je prends deux fils pour les repasser au rouet. Personnellement, j’aime tricoter avec un fil doublé, mais il est possible de le tripler ou le quadrupler selon le résultat souhaité. Le fil simple est quant à lui idéal pour la dentelle. Une pelote en fil solitaire nécessite environ 4 heures, le doublage prend environ ¾ d’heure. Pour une pelote de 50g, je dois obtenir environ 200m de fil, et pour un pull en taille 42, il faut environ 7 pelotes.
FG : La récolte, le tri, le lavage, le séchage, le filage et la mise en pelote demandent chacun du temps et de l’attention. Ensuite, tricoter le pull peut également prendre plusieurs heures, voire plusieurs jours selon la complexité du modèle et la taille du vêtement. En somme, c’est un processus qui requiert de la patience et de la persévérance, mais le résultat en vaut toujours la peine. Ce qui explique le prix d’un pull fait main par une artisane lainière.
Reportage et photos réalisés par Florence GIL de FG Photographie
Le 04/03/2024, à Penne-d’Agenais (47)
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